7. Du patro à l'usine

Fanfares et harmonies d'usines

Motivés par des préoccupations d'ordre public aussi bien que sociales, soucieux de s'attacher et de contrôler leur main-d'œuvre, patrons et directeurs d'usine suscitent au sein de leurs établissements des associations musicales (que l'industriel catholique Léon Harmel regroupait parmi les " sociétés de préservation morale " de sa Corporation du Val-des-Bois). Ils en assurent souvent la présidence, prennent en charge le salaire du chef de la musique, l'achat des instruments, l'éducation des jeunes, et jusqu'à la construction de salles de réunions ou de kiosques. L'embauche dans l'entreprise peut même être fonction des capacités musicales des ouvriers. Les succès doivent en conséquence être à la hauteur des sacrifices financiers : c'est l'image de marque de l'usine qui est à défendre à travers la fanfare ou l'harmonie. Celles-ci sont ainsi présentes à toutes les réceptions, à toutes les fêtes et processions, participent aux concours régionaux et nationaux, etc.

Elles se développent dans la région dès les débuts de la Troisième République ; les principaux secteurs industriels et tertiaires en connaissent, a fortiori en cas de concentration au sein de cités ouvrières : bonneterie (Troyes), forges et fonderies (Bayard, Marnaval, Bussy-Vecqueville), tissage (Reims, Warmeriville), verreries (Bayel, Reims), tonnellerie et vins de champagne (Epernay, Reims), mais aussi personnel des sociétés du gaz, de l'enseignement ou des PTT ; on fera une place particulière aux harmonies des chemins de fer de l'Est, qui ont existé dans les principaux centres ferroviaires de Champagne-Ardenne, et qui se sont souvent maintenues jusqu'à nos jours, sous l'égide de l'Union artistique et intellectuelle des cheminots français (ainsi à Charleville, Nouvion-sur-Meuse, Romilly-sur -Seine, Châlons-en-Champagne, Epernay ou Chalindrey).

Plus qu'un simple divertissement pour les ouvriers au sortir de leur travail, la fanfare forme ainsi un lien affectif entre le travailleur et son usine, y entretient un " esprit de famille " paternaliste. Les mouvements syndicaux s'en méfient et le critiquent, même si les partis de gauche ont pu à leur tour utiliser la musique comme un instrument de sociabilité.

Musiques scolaires, de patronages et sportives

Des collèges publics aux institutions des Frères, de l'École des arts et métiers de Châlons à la faculté de médecine de Reims, nombre d'établissements d'enseignement proposent, comme animation extra-scolaire, la participation à de petits orchestres, harmonies ou chorales.

Un même souci d'encadrement de la jeunesse, dans une perspective de préservation sociale et de défense religieuse face aux débats politiques des années 1880-1910, a incité l'Église à multiplier les patronages : compléments de l'école, ils proposent une formation intégrale, associant pratique religieuse, activités spirituelles et morales (cercles d'études) aussi bien que ludiques (gymnastique, musique, théâtre, plus tard cinéma). Des sociétés paroissiales de gymnastique et de musique, aux noms évocateurs (Les Jeunes, L'Alerte, L'Intrépide, La Jeanne-d'Arc, L'Espérance ou encore La Persévérante), en sont le prolongement à partir du début du XXe siècle.

De fait, sports et musiques sont très proches, en tant que principaux loisirs populaires collectifs, et ont même une mission commune, développer les forces physiques et morales de la jeunesse. Les sociétés sportives, en général de gymnastique, parfois vélocipédiques ou nautiques, organisent, elles aussi, des concerts, des fêtes, et peuvent se constituer leur propre fanfare pour coordonner les mouvements ou jouer lors des défilés (ainsi la fanfare de la Société des régates rémoises, fondée en 1858).