CARTES ET PLANS : CATALOGAGE ET NUMÉRISATION

Si les bibliothèques et les services d’archives publiques conservent des fonds patrimoniaux généralement bien distincts, leurs collections iconographiques, notamment cartographiques, sont bien souvent de nature comparable et complémentaire.

Quels que soient leur provenance et leur lieu de conservation, cartes et plans partagent en effet des caractéristiques communes et suscitent des questions similaires auprès des bibliothécaires et des archivistes : identification et catalogage, conservation et communication.

Identifier et cataloguer

Tout à la fois pièce écrite et document figuré, tantôt œuvre éditée tantôt manuscrit unique, feuille isolée ou ouvrage relié en atlas, la carte ou le plan a longtemps été exclu des priorités de catalogage [Direction des Archives de France et Bibliothèque nationale ont retenu depuis longtemps des définitions communes de la carte et du plan : les cartes sont des images réduites et aplanies d’une partie relativement étendue de la surface terrestre jusqu’à l’échelle d’1/20 000e (jusqu’à d’1/5000e pour l’IGN) ; les plans figurent une surface relativement exiguë (c’est une carte à grande échelle)]. Les professionnels ont buté devant les difficultés de catégorisation, mais aussi de méthodologie : les documents concernés doivent être décrits pièce par pièce, parfois même à plusieurs niveaux (dans le cas des séries) et comporter des informations supplémentaires par rapport aux livres et aux archives (données « mathématiques » : échelle, coordonnées géographiques, système de projection, représentation du relief).

Sous l’Ancien Régime, les documents cartographiques ont fait l’objet de regroupements relativement tardifs, notamment dans le cadre des institutions royales : dépôt du ministère de la Guerre (1688) et de la Marine (1720). Ce n’est qu’au XIXe siècle que les services d’archives et les grandes bibliothèques ont lentement constitué des rassemblements artificiels de ces documents disparates et diversifiés. Issus du département des Estampes et de celui des Imprimés, les documents cartographiques de la bibliothèque royale sont réunis dans le nouveau département des Cartes et Plans créé en 1828 ; et ce n’est qu’en 1854 que les Archives nationales constituent leurs séries N et NN à partir des quelques 100 000 plans conservés dans les dossiers des différents fonds de leurs dépôts.

Ces regroupements matériels, appliqués également dans de nombreux services d’archives et bibliothèques de province répondaient principalement à des considérations de conservation, mais ne distinguaient pas les documents spécifiquement cartographiques par rapport aux autres documents de même format, tels les plans d’architecture.

De fait, la description et le catalogage de ces pièces ont souvent été différés, le rangement matériel ou la cotation géographique tenant lieu parfois d’inventaire.

« Protéger, c’est d’abord connaître », dit l’auteur du catalogue des cartes et plans des Archives de la Moselle, l’un des tout premiers du genre, paru en 1931. D’autres services d’archives figurent également parmi les pionniers de ces catalogues : Pyrénées-Atlantiques en 1975, Yonne en 1982. La mise en valeur de ces collections, sous forme d’exposition accompagnée de catalogue, s’est développée à partir de la fin des années 1970 : Bibliothèque nationale en 1979, Centre Georges-Pompidou en 1980, Archives nationales en 1987, archives et bibliothèques de Franche-Comté en 1995 [A la découverte de la terre. Dix siècles de cartographie. Trésors du département des cartes et plans, Paris, 1979.Exposition tenue à la Bibliothèque nationale, 1979 ; Cartes et figures de la terre, Centre Georges Pompidou, 1980 ; Espace français. Vision et aménagement, XVIe-XIXe siècle, Archives nationales, 1987 ; L’espace comtois par la cartographie du XVIe au XVIIIe siècle, Besançon, 1995].

La décennie 1980 correspond également à la stabilisation des normes de description cartographique dans les bibliothèques (ISBD publié en français en 1979, puis repris dans une norme AFNOR en 1981). Les archives travaillent sur le même sujet et aboutissent à une note méthodologique diffusée par la direction des archives de France en 1986.

« Trop grands, trop fragiles, trop précieux »

[Telle est l’expression utilisée par Jean-Pierre Babelon à propos des documents d’architecture et d’urbanisme dans la Gazette des archives (n° 141, 2e trimestre 1988, p. 181-197)]

Cartes et plans posent aux conservateurs de gros problèmes : ils sont grands et ont souvent beaucoup servi avant d’être confiés aux établissements. Trop encombrants, ils ont souffert d’avoir été pliés et dépliés, roulés et déroulés, accrochés aux murs, réparés avec des moyens de fortune.

Ces « servitudes d’archivage » ont conduit dans beaucoup de services d’archives et de bibliothèques à des opérations de rassemblement, en rapprochant les documents de même format et de même nature. Les archivistes ont fréquemment repéré, puis extrait de leur dossier d’origine de nombreux plans pliés, pour les mettre à plat et les reconditionner. Ces opérations sont pratiquées dès le XIXe siècle, mais c’est dans les années 1960 que l’on recommande de conserver le lien intellectuel entre les pièces extraites et la liasse correspondante. Cette « traçabilité » est alors obtenue par l’attribution d’une cote de rangement ou d’une « adresse » informatique particulière.

Réunis dans des lieux de conservation centralisés, les cartes et les plans peuvent être conditionnés et rangés dans des conditions optimales : meubles à plans permettant le rangement à plat, conditionnement en pochette de papier ou de polyester neutre, rouleau placés dans des boîtes adaptées.

En raison de leur grande taille, les documents cartographiques sont aussi de manipulation très délicate. Les recommandations relatives aux constructions de bâtiments d’archives ou de bibliothèque ont progressivement intégré des prescriptions concernant la communication des pièces de grand format : salles de lecture dédiées, tables spéciales de grandes dimensions, etc.

Mieux connus, identifiés, catalogués et davantage communiqués, les cartes et les plans ont rapidement posé de nouveaux problèmes de conservation. Le souci de leur préservation a conduit naturellement à des politiques de reproduction, à la fois comme support de substitution mais aussi comme réponse à la demande croissante d’un lectorat avide d’appropriation et de réutilisation des documents consultés. Le microfilm 35 mm, mode de reproduction classiquement employé par les bibliothèques et les archives, va rapidement se révéler très limité, toujours en raison des dimensions excessives des pièces concernées. Les préconisations techniques de la direction du livre et de la lecture de la fin des années 1980, en matière de microfilmage, excluaient les documents dont le format dépassait 1,15 x 1, 65 (soit l’équivalent d’un double format A0). Or de nombreux documents cartographiques atteignent des dimensions trop importantes pour envisager un microfilmage acceptable, compte tenu des trop forts taux de réduction [Les microfiches réalisées à l’époque par le service national du Cadastre étaient peu exploitables].

Le microfilmage, limité au noir et blanc, ne permettait pas non plus de rendre compte des teintes nuancées souvent utilisées par les géomètres dans leurs codifications cartographiques.

L’arrivée de la numérisation, au début des années 1990, va changer la donne.

La numérisation des cartes et plans

Dès le début de leur développement, les techniques de numérisation trouvent dans les fonds cartographiques un champ d’expérimentation prometteur. Les premières tentatives rencontrent pourtant de réelles difficultés, liées à la taille limitée des capteurs et des scanners, par rapport aux documents concernés.

La nécessité de prendre en compte à la fois les grands formats mais aussi le nombre d’informations contenues dans les cartes et les plans implique d’obtenir des images numériques avec des niveaux de résolution très élevés. Les fichiers informatiques engendrés par ces exigences causent aux informaticiens de sérieux soucis de mémoire et de supports de stockage.

Enfin, la manipulation des plans nécessaire à leur passage au scanner pose en outre des problèmes de conservation. Les Archives départementales de la Savoie, qui figurent parmi les pionniers de cette aventure, ont choisi dans les années 1996-1997 de numériser les gigantesques mappes sardes du XVIIIe siècle en les faisant préalablement photographier par sections, puis en scannant les ektas obtenus et en procédant à un judicieux assemblage des images obtenues.

Les premiers plans du cadastre dit « napoléonien » à avoir été numérisés ont été traités par des scanners verticaux (scanners de géomètre), qui sont aujourd’hui considérés comme incompatibles avec la préservation des documents patrimoniaux. Les nouveaux matériels de numérisation, utilisés couramment aujourd’hui, caméras numériques « zénithales » ou dos numériques, permettent actuellement des traitements de haute qualité, tout en atténuant les effets des manipulations.

Des journées d’études consacrées à la numérisation des archives ont été organisées à Châlons-en-Champagne par la direction des archives de France en 1997 [Les actes ont été publiés sous le titre La numérisation au service de la préservation et de la valorisation des archives, Paris, 1998]. C’est dans les années qui suivirent que les projets champardennais commencèrent à réellement se développer.

Après quelques projets portant sur les fonds anciens (enluminures, chartes et sceaux de l’abbaye de Clairvaux, fonds photographiques prestigieux…), des opérations de plus en plus nombreuses s’intéressent aux collections cartographiques des bibliothèques et archives de Champagne-Ardenne. Les projets sont stimulés non seulement par le plan de numérisation encouragé financièrement par le ministère de la culture (Mission Recherche et Technologie), mais aussi et surtout par la direction régionale des affaires culturelles et le Conseil régional, dans le cadre du contrat de plan Etat-Région 2000-2006.

La médiathèque de l’agglomération troyenne a commencé à numériser des cartes anciennes parallèlement à ses nombreux autres opérations : l’ensemble des plans cadastraux anciens des départements de l’Aube, de la Marne et de la Haute Marne, ainsi que les plans anciens de la ville de Reims ont également déjà été traités par les Archives départementales et municipales concernées. Les Archives de la Marne ont par ailleurs fait numériser leurs plans anciens des XVIe-XIXe siècle. On peut estimer en 2005 qu’environ 25 000 plans sont disponibles sous forme numérique en Champagne-Ardenne.

La numérisation est également abordée comme élément d’une politique de préservation, qui conduit certains établissements à élaborer une programmation systématique de restauration et de conditionnement de leurs plans, en préparation d’une numérisation ultérieure. Le fait de permettre la consultation sous forme numérique de ces documents permet même d’envisager des restaurations plus légères et moins coûteuses, dans la mesure où les originaux sont ensuite retirés de la consultation.

L’utilisation des images cartographiques numérisées ne se limite pas à la préservation. Elle offre d’autres perspectives d’exploitation très prometteuses. Les centres de recherche scientifiques et les services techniques (DRAC, universités, services d’urbanisme) sont très demandeurs et ont déjà pu commander et obtenir des collections complètes de plans cadastraux sur cédéroms. Des liens avec d’autres données topographiques sont désormais envisageables [Cette dimension est déjà intégrée dans la numérisation des plans cadastraux de la Marne].

Le croisement des informations anciennes, actuelles et futures autorise également des projets séduisants, comme le montrent les possibilités d’intégration des données patrimoniales numérisées dans les systèmes d’information géographiques (SIG) de l’Etat et des collectivités territoriales [On notera que l’association des archivistes français (section des archivistes municipaux) organise à Nantes en septembre 2005 un grand colloque intitulé Représenter le territoire, du plan terrier au S.I.G ; : archives et nouvelles technologies]. Les ressources cartographiques des archives et des bibliothèques, une fois numérisées, peuvent ainsi rejoindre la production de nouvelles sources dématérialisées pour enrichir la représentation du territoire.

Enfin, l’utilisation des formats pyramidaux et le développement des nouveaux services cartographiques sur internet laissent entrevoir de nouvelles possibilités de diffusion de ce patrimoine cartographique numérisé. Les fichiers volumineux posent de moins en moins de problème, les interfaces de consultation se développent…

Bibliothèque et services d’archives peuvent désormais offrir à leurs publics un large accès à leurs collections cartographiques, enfin sorties de l’isolement.

Xavier de la Selle,
Directeur des Archives départementales de l'Aube en 2005